Essai sur l’Optique – Chapitre 3: De L’Opacité et des Corps Opaques

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Définition du mot « opacité »

[246r] L’opacité est précisément le contraire de la transparence, et le mot « opaque » signifie simplement un corps qui ne transmet point la lumière, soit que ce corps l’absorbe dans sa substance, soit qu’il la réfléchisse.

Explication de cette définition

Cependant ces deux effets que les corps opaques font sur la lumière, de l’absorber et de la réfléchir sont très différents. Le mot d’opaque paraît donc devoir être regardé comme le mot général destiné à désigner tous les corps qui ne sont point perméables à la lumière, mais ces corps se divisent en noirs et en colorés.

S’il y avait quelque corps qui pût interrompre toute la lumière qu’il reçoit sans en réfléchir aucune, ce corps serait parfaitement noir, et il ne serait ni dans le cas des ténèbres, ni dans celui des corps réfléchissants, car les ténèbres ne reçoivent point de lumières, et les corps réfléchissants rendent une partie de celles qu’ils reçoivent, au lieu qu’un corps parfaitement noir, en [246v] recevrait sans en rendre.

« Mais la nature ne souffre nulle précision » (Fontenelle; Histoire de l’Académie), et les corps les plus noirs réfléchissent toujours quelque lumière. De même que les corps réfléchissans en interrompent toujours quelque partie. Mais les corps noirs sont ceux de tous qui en absorbent le plus, et qui en réfléchissent le moins, ainsi on peut apeller le noir, des « ténèbres visibles » selon l’expression de Milton.

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En quoi consiste l’opacité

L’homogénéité des corps étant ce qui les rend transparents (chapitre 2), il faut nécessairement que l’hétérogénéité produise l’opacité. Ainsi il est aisé de conclure que les corps opaques doivent être plus hétérogènes que les corps transparents. Je vais donc examiner comment l’hétérogénéité des corps opaques leur fait interrompre et réfléchir la lumière.

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Cause de la réflexion inconnue avant Newton

La réflexion de la lumière est de tous ses effets, celui qu’on croyait connaître davantage, et c’était cependant celui qu’on connaissait le moins avant Mr. Newton. Ce grand homme après avoir prouvé que la grandeur des pores n’opère point la transmission de la lumière, a demontré que les parties solides ne la réfléchissent point, et que plus les pores d’un corps sont grands et nombreux, plus il absorbe et réfléchit de rayons.

La lumière ne se réfléchit point de dessus les parties solides

Toutes les vérités se tiennent, et les découvertes de [247r] Mr. Newton sont une chaîne d’or qui va du ciel en terre. Ainsi les phénomènes que j’ai rapporté pour prouver que la grandeur des pores n’opère point la réfraction de la lumière (chapitre 2) prouvent aussi que ce ne sont point les parties solides qui la réfléchissent.

Preuves

  1. On a vu que l’obliquité de l’incidence décide la réflexion en passant du verre dans l’air, et cependant cette obliquité ne change rien dans la fissure du verre. Donc ce ne sont point les parties solides de ce verre qui réfléchissent la lumière.
  2. L’air réfléchit la lumière à la même obliquité à laquelle l’eau la transmet, cependant l’air a moins de parties solides que l’eau. Donc &c.
  3. Lorsque la lumière passe d’un milieu plus rare dans un plus dense, quelque soit son obliquité, elle est transmise presque toute entière à travers ce milieu plus dense qui cependant a d’autant plus de parties solides, qu’il est plus dense. Donc &c.
  4. La réflexion de la lumière est un peu plus forte dans un corps dont on a tiré l’air, que dans l’air. Cependant si les parties solides réfléchissaient la lumière, il devrait revenir plus de rayons d’un corps, lorsque ses pores sont pleins d’air, que lorsqu’ils sont entierèment vides. Donc &c.
  5. Si les couleurs produites dans une chambre obscure par un prisme passent à travers un second prisme, ce second prisme pourra être tellement incliné aux rayons qui s’échappent du premier prisme, que les rayons rouges [247v] par exemple seront transmis à travers sa substance, tandis que les bleus, les verds &c. seront tous réfléchis. Or si la lumière se réfléchissait de dessus les parties solides du verre, il paraît impossible qu’à une même obliquité d’incidence, les rayons bleus ne rencontrent dans ce prisme, que des parties solides qui les réfléchissent, tandis que les rouges n’y trouvent que des pores qui les transmettent. Donc &c.
  6. Si les parties solides réfléchissaient la lumière, le verre, l’eau, tous les corps transparents enfin, seraient troubles, puisqu’ils ont des parties solides, et que les rayons qui tomberaient sur ces parties, seraient réfléchis. Donc puisque le verre, l’eau &c. sont parfaitement limpides, les parties solides ne réfléchissent pas la lumière.
  7. Si les rayons de lumière qui reviennent à nos yeux de dessus les corps les plus polis, y revenaient après s’être réfléchis sur les parties solides qui composent la première surface de ces corps, ils ne pourraient jamais se réfléchir régulièrement, mais ils seraient dispersés ça et là, en tout sens, comme des perles qui tomberaient sur des platras, et l’angle de réflexion de la lumière ne pourrait jamais être égal à son angle d’incidence, car le corps qui nous paraît le plus poli, n’est en effet qu’un amas de monticules et de cavités, quand on le regarde avec un bon microscope. Cependant les glaces nous prouvent que la lumière qui nous apporte notre image, fait son angle de réflexion sensiblement égal à l’angle de son incidence. La lumière ne revient donc pas à nos yeux après s’être réfléchie sur les parties [248r] solides de cette glace.

Il est donc bien certain que les rayons ne nous sont point renvoyés par les parties solides des corps. Ainsi il faut chercher une autre cause de la réflexion de la lumière.

4

La différente densité des milieux contigus opère la refléxion

Quand il serait impossible de découvrir cette cause, c’est toujours nous avoir rendu un grand service, que d’avoir démontré que les parties solides des corps ne réfléchissent point la lumière, puisque c’est un grand bien, d’être défait d’une erreur, quand même on ne devrait la remplacer que par un doute éclairé. Ainsi il faut examiner la nature, sans se décourager par ses obscurités.

On sait déjà que la différente densité des milieux contigus est nécessaire à la réflexion, car on a vu dans le chapitre précédent, que les rayons qui passent à travers un morceau de cristal sans interruption, parce que les parties de cristal sont d’une densité à peu pres égale, se réfléchissent en partie, lorsqu’ils parviennent à sa dernière surface, parce qu’alors ils trouvent dans l’air qui entoure ce cristal, un milieu d’une densité différente qui interrompt leur transmission, et occasione leur réflexion.

Si on plonge ce cristal dans l’eau, une partie des rayons qui se réfléchissaient, lorsqu’il était entouré d’air, passe dans cette eau, dont la densité approche davantage de celle du cristal.

Une partie de la lumière revient a nous avant d’avoir atteint les corps

Enfin plus le milieu qui entoure le corps réfléchissant est d’une densité différente de la sienne, et plus les [248v] couleurs de ce corps sont vives, et sa réflexion abondante. C’est pourquoi les couleurs des étoffes plongées dans l’eau ou dans l’huile languissent, et c’est pourquoi encore la lumière réfléchie est plus abondante dans le vide.

Cette réflexion de la lumière d’autant plus abondante que les milieux contigus différent davantage en densité, l’égalité de son angle de réflexion, et de son angle d’incidence la puissance qu’ont les corps d’agir en éloignement sur la lumière, et avant qu’elle les ait atteint. Toutes ces vérités nous prouvent qu’une partie de la lumière qui revient à nous, y revient avant d’avoir touché la première surface des corps, et d’auprés de cette première surface.

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Conjecture de Mr. Newton sur la cause de cette réflexion

On n’a point encore découvert quelle est la vertu qui fait rejaillir les rayons vers nous, avant qu’ils aient atteint la première surface des corps. Mr. Newton après avoir démontré cette singulière vérité, a eu la modestie et la bonne foi d’avouer, qu’il en ignorait la cause. Il connaissait le point où l’esprit de l’homme doit s’arrêter, et cette sobriété d’esprit (si je puis m’exprimer ainsi) est peut-être aussi nécessaire, que l’etendement du génie, pour faire des progrès dans la connaissance de la nature.

La matière electrique est peut-être cette cause

Il s’est donc contenté de conjecturer qu’il y a peut-être une matière très fine et très élastique, répandüe sur la surface de tous les corps, laquelle sert de véhicule à la lumière, et cette matière n’est peut-être que la matière électrique elle-même.

Une expérience d’électricité fait par Mr. Hauksbee semble appuyer cette idée, que la matière électrique sert de véhicule à la lumière pour opérer cette reflection qui se fait d’auprès de la première surface des corps. Dans cette expérience de Mr. Hauksbee un tube de verre [249r] rendu électrique par le frottement, attirait à lui une feuille de cuivre renfermée dans un verre, et il cessait d’agiter cette feuille, si on mettait entre le tube électrique et elle la mousseline la plus fine, qui a cependant plus de pores, et des pores plus larges que le verre. Ce ne sont donc point les corps les plus poreux, à traves lesquels la matière électrique passe le plus facilement.

Cette conformité entre la matière électrique et la lumière nous met en droit d’ésperer que l’exactitude avec laquelle on examine à présent les phénomènes de l’électricité, éclaircira quelque jour le mystère de la réflexion de cette partie de la lumière, qui revient à nous, avant d’avoir atteint la première surface des corps.

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Nouvelle propriété des rayons aperçue par Mr. Newton

Mr. Newton a aperçu dans la lumière un mouvement de vibration qu’il appelle ses « accés de facile transmission et de facile réflexion », et cette découverte jette quelque faible lueur sur l’obscurité dans laquelle la cause qui produit la réflexion de la lumière d’auprès de la première surface des corps, est encore ensevelie. Il a calculé le nombre et la durée de ces vibrations des rayons. Il a trouvé qu’elles revenaient à intervalles égaux, qu’elles étaient durables de leur nature, et que les rayons les avaient vraisemblablement dans le temps même qu’ils commencent à émaner des corps lumineux.

Application de cette nouvelle propriété aux phénomènes de la réflexion

Ainsi lorsqu’un rayon qui tombe sur un corps se trouve dans une vibration de facile transmission, et que cette vibration conspire avec celle de cette matière qu’on suppose être répandue sur la surface des corps, alors [249v] le rayon pénétre dans ce corps.

Si ce corps dans lequel le rayon pénétre est d’une homogénéité suffisante, le rayon qui pénétre dans sa substance est transmis à travers, et ce corps est transparent.

Si au contraire ce corps est hétérogène, ce rayon s’éteindra, s’amortira, perdra son mouvement de vibration dans ce corps, lequel sera opaque.

Les autres rayons dont la vibration est en sens contraire de ceux dont je viens de parler, et qui se trouvent par conséquent dans un accés de facile réflexion, quand ils arrivent à la surface de ce corps, au lieu de pénétrer dans ce corps, se réfléchissent d’aupres de sa surface, d’autres se réfléchissent du milieu de ces pores et ces dernières réflexions s’opèrent en partie par l’action de cette matière, qui sert de véhicule à la lumière, et en partie par la propre vibration de ces rayons qui les porte à se réfléchir.

Il est bien desirable que les expériences confirment les conjectures de Mr. Newton sur cette matière « repandue sur la surface des corps », et nous démontrent de quelle façon les accés de vibration qu’il a aperçu dans les rayons, concourent avec cette matière, à décider la transmission, ou la réflexion des rayons.

Rien ne serait plus commode que de donner à une matière très fine et très élastique repandue sur la surface de tous les corps, la direction de la réflexion de la lumière, car on expliquerait merveilleusement par cette hypothèse comment elle peut se réfléchir du sein du vide, dans lequel cette matière est supposée rester toujours, par quelle puissance la lumière fait son angle de réflexion égal [250r] à son angle d’incidence1, comment une partie des rayons peut se réfléchir avant d’avoir atteint la première surface des corps, pendant qu’une autre partie pénètre dans ces corps &c. Mais la facilité avec laquelle une hypothèse explique tous les phénomènes, n’est pas une raison pour l’admettre.

À l’égard des accés de facile transmission et de facile réflexion que Mr. Newton a aperçu dans les rayons il en parle d’une façon si affirmative dans son traité d’optique qu’il paraît bien difficile de les révoquer en doute, après les expériences sur lesquelles il les a établis, on peut voir ces expériences dans le livre 2, partie 4, et dans le livre 3 de l’optique de ce grand homme.

Je parlerai plus en détail de ces vibrations dans la quatrième partie de cet ouvrage. Il paraît qu’on est forcé de les admettre pour expliquer comment d’une certaine quantité de rayons qui tombent sur un morceau de cristal, les uns sont transmis et les autres réfléchis, et mille autres phénomènes qui paraissent inexplicables sans cela, et qui concourent avec les expériences de Mr. Newton à nous découvrir ces vibrations différentes et alternatives des rayons.

7

En quoi les corps opaques et les corps transparents différent

Les corps diaphanes nous renvoyent vraisemblablement [250v] autant de rayons d’auprès de leur première surface, que les corps les plus opaques, car la vertu qui fait rejaillir la lumière, avant d’avoir atteint les corps, paraît appartenir également aux corps transparents et aux corps opaques, soit que ce phénomène doive être attribué à une cause inconnue, ou qu’il soit produit par l’action d’une matière très fine qui entoure les corps, comme l’a conjecturé Mr. Newton, car cette matière, si elle existe, est vraisemblablement la même sur les corps opaques, et sur les corps transparents, et elle doit par conséquent opérer une réflexion aussi abondante sur la surface des uns que sur celle des autres.

Mais la lumière que les corps transparents nous réfléchissent d’auprès de leur première surface, est effacée par la quantité infiniment plus grande, qu’ils en transmettent, et par cette raison son effet est presque insensible sur notre rétine, au lieu que les corps opaques ne transmettant aucuns rayons. Ceux qui reviennent à nous d’auprès de leur première surface font un effet très sensible sur nos yeux.

De plus, les corps opaques nous renvoyent des rayons du sein de leurs pores, comme je le dirai dans la suite (chapitre 4) ce qui augmente beaucoup leur lumière réfléchie.

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L’attraction des corps transparents sur la lumière ayant été prouvée dans le chapitre précédent (chapitre 2), il faut nécessairement que les corps opaques exercent aussi une attraction sur les rayons, car il n’y a aucune raison qui [251r] doive priver les corps opaques de cette force attractive. Ainsi cette attraction doit influer dans la réflexion comme dans la réfraction (chapitre 2).

L’attraction ne paraît pas opérer la refléxion d’auprès des corps

Il est vrai que l’attraction ne paraît pas opérer la réflexion des rayons qui reviennent à nous, avant d’avoir atteint la première surface des corps, mais l’attraction n’est pas sans doute l’unique ressort qu’employe la nature, et il serait aussi peu philosophique de vouloir la faire régner partout, qu’il est indispensable de l’admettre quand les effets la démontrent. La réflexion qui s’opère auprès de la première surface des corps, paraît jusqu’à présent un mystère impénétrable. On sait seulement que la différente densité des milieux contigus y est nécessaire.

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Mais elle opère celle des rayons qui reviennent d’entre les pores des corps

Si l’attraction ne paraît pas opérer cette réflexion des rayons qui reviennent à nous, avant d’avoir atteint la première surface des corps, elle produit d’une manière sensible celle des rayons qui se réfléchissent du sein des pores des corps opaques. Car les corps opaques nous renvoyent plusieurs rayons du sein de leurs pores, et d’entre les différentes surfaces qui les composent, et ce sont vraisemblablement ces rayons, qui forment leurs différentes couleurs, car s’il ne nous revenait que les rayons qui se réfléchissent d’auprès de la première surface des corps opaques, ils nous paraîtraient tous de la même couleur, puisque s’il y a une matière très fine et très élastique répandue comme un vernis sur la surface des corps, cette matière est la même sur tous les corps et par conséquent, elle n’est pas différente sur les corps bleus, et sur les rouges, et si cette matière n’existe pas, il n’y a [251v] aucune raison pour laquelle la lumière qui revient à nous avant d’avoir atteint la première surface de tous les corps ne dût pas être de la même couleur, au lieu que le différent arrangement, et la différente grosseur des particules qui composent les corps de différentes couleurs, agissant différemment sur les rayons différemment réfrangibles, les rayons qui nous reviennent d’entre les pores d’un corps vert, par exemple, ne sont pas ceux qui nous reviennent d’entre les pores d’un corps jaune. C’est là vraisemblablement la cause des couleurs des corps opaques, comme je l’expliquerai plus en détail, en parlant de la formation des couleurs dans le chapitre quatrième. Il me reste à montrer en général dans celui-ci comment l’attraction opère la réflexion des rayons qui reviennent à nous, d’entre les pores des corps opaques.

La lumière étant transmise à travers un corps, lorsque les particules de ce corps, étant d’une densité à peu pres égale, elles attirent également le rayon de tous côtés, ce rayon doit changer de direction, lorsqu’il rencontre un corps dont les particules sont d’une densité inégale ou (ce qui fait le même effet) qui sont séparées par de grands pores, remplis d’une matière beaucoup plus rare, que celle de ces particules, car alors ce rayon est attiré inégalement par les particules, et par cette matière hétérogène qui les sépare.

Réflexion et réfraction, deux effets de l’attraction

Cette attraction inégale que les particules des corps opaques exercent sur la lumière, produit les mêmes effets, que nous avons vu opérer par les milieux hétérogènes à différentes obliquités d’incidence (chapitre 2). Ainsi lorsque l’attraction d’une particule quelconque est assez forte pour contrebalancer la force verticale de la lumière, le rayon se réfléchit, mais si cette [252r] attraction est plus faible, le rayon ne fait que se rompre. Ainsi les corps réfléchissent et rompent la lumière par une seule et même puissance, diversement mise en œuvre, et cette puissance est l’attraction,2 et l’on peut regarder la réflexion de la lumière comme une plus grande réfraction, puisque ce n’est réellement qu’un plus grand effet d’une même cause. De même qu’on considère quelquefois la réfraction des corps sensibles comme une réflexion en dessous. On verra de plus en plus dans la suite, combien la réflexion et la réfraction se ressemblent.

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La grandeur des pores opère la réflexion

La grandeur des pores occasione ces réflexions et ces réfractions, que les rayons éprouvent dans l’intérieur des corps opaques, et c’est pour cette raison, que les pores d’un corps ne doivent pas passer une certaine grandeur, pour que ce corps soit transparent, car les pores des corps étant ou vides ou remplis d’une matière infiniment plus fine, que celle des particules qui les terminent, la lumière est d’autant plus inégalement attirée, qu’elle trouve plus de ces vides à traverser, et que ces vides sont plus grands.

On peut conjecturer qu’il s’opère plus de réfractions internes dans les corps opaques dont les pores sont étroits, et plus de réflexions dans ceux dont les pores sont larges, et cela [252v] vraisemblablement parce que les particules, qui forcent le rayon à se fléchir agissent d’autant plus longtemps sur lui que le pore, qu’il traverse est plus grand, et que cette action continuée plus longtemps force le rayon à se réfléchir et à revenir vers nos yeux.

Cependant quand les pores sont trop larges, les rayons qui pénétrent trop avant dans ce corps s’y éteignent, par la quantité des réflexions qu’ils y éprouvent de même qu’une balle perd son mouvement à force de faire des bonds, et que le son s’affaiblit par la répétition des échos. Ainsi les corps dont les pores sont très larges nous renvoient moins de lumière, que si leurs pores étaient moins grands, et il faut une certaine grandeur de pores, pour rendre la réflexion abondante, de même que pour la réfraction.

Les corps noirs opèrent plus de réfractions que de réflexions internes

Les corps noirs sont, comme je l’ai déjà dit, ceux qui réfléchissent le moins de lumière, et il y a apparence qu’il se fait plus de réfractions que de réflexions dans l’intérieur de ces corps, car leurs parties étant très fines, il faut que les pores qui les séparent soient très petits. Ainsi les rayons qui atteignent la première surface de ces corps sont éteints et absorbés dans leur substance par les réfractions que la discontinuité et l’hétérogénéité de ces corps fait éprouver à la lumière, et il ne nous revient aucune lumière d’entre les pores des corps noirs, voilà pourquoi leur lumière réfléchie est si faible, qu’elle est toujours effacée par celle que nous renvoyent les corps qui les environnent, et c’est par cette raison qu’ils paraissent noirs.

Ce qui rend les couleurs des corps plus ou moins vives

Pour qu’un corps soit entièrement opaque, il faut donc que ses pores soient très petits, très nombreux, ou très [253r] grands, et entièrement vides, ou remplis d’une matière très rare. Les corps noirs sont vraisemblablement dans le premier cas, et pour que les corps nous réfléchissent des couleurs vives, il faut que leurs pores soient larges, sans cependant être trop grands. Alors du sein de ces pores, il nous reviendra une grande abondance de rayons.

Mais il me reste à examiner ce qui fait que les différents corps nous réfléchissent différentes couleurs.


  1. L’égalité des angles d’incidence et de réflexion vient peut-être des accés de facile transmission et de facile réflexion, car ces accés reviennent comme je l’ai dit, à intervalles égaux. [back]
  2. On sent bien que je ne parle ici, que de la lumière qui revient à nous d’entre les pores des corps opaques, et non de celle qui se réfléchit, avant d’avoir atteint la première surface de ces corps, puisque j’ai dit ci-dessus, que cette réflexion ne paraît pas dépendre de l’attraction. [back]