Essai sur l’Optique – Chapitre 2: Des Corps Transparents et des Causes de la Transparence

1

La lumière n’est pas visible par elle-même

[233r] Les particules qui composent la lumière ne sont pas visibles par elles mêmes, puisque nous ne voyons point le cône lumineux qui va fondre l’or dans le foyer d’un verre ardent, à moins que quelque corps opaque, comme la fumée, ne nous en marque les limites, et alors ce n’est pas le corps lumineux que nous voyons, mais le corps opaque qui l’entoure, cependant les rayons sont très denses et très rassemblés dans ce cône. Ainsi nous ne voyons point la lumière, mais nous voyons par son moyen les corps qui nous la renvoient. L’opacité et la transparence dépendent donc de la façon dont les corps agissent sur la lumière qu’ils reçoivent.

2

Définitions

Les effets des corps sur la lumière peuvent se réduire à quatre :

  • la transmettre ;
  • la rompre ou la réfracter ;
  • l’interrompre ou l’éteindre ;
  • la réfléchir.

Les corps transparents transmettent et réfractent la [233v] lumière et les corps opaques la réfléchissent et l’interrompent en l’absorbant dans leur substance.

De la transmission du rayon perpendiculaire

La simple transmission de la lumière sans réfraction et sans accélération et sans retardement dans son mouvement ne serait pas proprement une action des corps sur elle. Aussi l’espace pur, ou quelque milieu aussi homogène et aussi continu que lui (s’il y en pouvait avoir) nous transmettrait la lumière soit oblique, soit perpendiculaire sans agir sur elle, mais nous ne connaissons aucun corps qui ne retarde ou n’accélère le mouvement de la lumière en la transmettant.

Cette accélération ou ce retardement de mouvement ne produit point de brisement dans le rayon perpendiculaire, mais elle en opère un nécessairement dans le rayon oblique, car le mouvement oblique étant un mouvement composé, il faut nécessairement, que si l’un des deux mouvements, en quoi il peut se résoudre est diminué, ou augmenté, le chemin du mobile soit changé, et la lumière suit dans ce cas les loix que suivent tous les mobiles.

Ce brisement du rayon oblique est ce qu’on appelle la refraction de la lumiere.

Quoique toute la lumière oblique soit réfractée, on se sert cependant du seul mot de transmission pour la lumière oblique comme pour la perpendiculaire, afin d’éviter la confusion, que trop de distinctions mettraient dans le discours.

3

La grandeur des pores n’opère point la transparence

C’est surtout en approfondissant les mystères de la lumière que l’on s’aperçoit, combien le vraisemblable est quelquefois éloigné du vrai. Quoi de plus vraisemblable, par exemple, que de croire que plus les pores d’un corps sont grands [234r] et nombreux, plus il nous transmet de lumière. Cependant les expériences du microscope ont prouvé, que ce ne peut être faute de pores, que les corps qui ne transmettent point la lumière, s’opposent a son passage, car ces instruments nous ont découvert dans les corps les plus opaques des millions de pores, qui seraient plus que suffisants, pour donner passage à la lumière.

Preuves

De plus, dans le point de contact de deux glaces, les rayons sont transmis, et si la première des ces glaces était contigue à l’air, au lieu d’être posée sur cette seconde glace, il se réfléchirait plusieurs rayons d’auprès de cette surface contigue à l’air. Or cependant la glace qui transmet la lumière, a moins de pores, que l’air qui la réfléchit. Donc ce n’est point la quantité des pores, qui opère la transmission.

Mais non seulement ce n’est point faute de pores que les corps opaques ne transmettent point la lumière mais ce n’est point la grandeur des pores des corps transparents, qui la leur fait transmettre. Mr. Newton a demontré, que la grandeur des pores s’oppose à la transmission de la lumière, loin de l’opérer.

L’expérience la plus commune est une preuve de cette étonnante vérité, car le papier huilé qui transmet la lumière, que le papier sec arrêtait, a certainement les pores moins larges, lorsqu’on les a remplis d’huile, qu’il ne les avait auparavant. Le verre pilé, qui devient opaque, le sel mouillé, qui devient diaphane, et mille autres expériences que je ne rapporterai point ici, confirment cette découverte.

On pourrait peut-être croire même que la rectitude des pores des corps n’est point nécessaire à leur transparence, car l’arrangement des pores du papier mouillé ne paraît pas [234v] être différent de celui des pores du papier sec, cependant l’un arrête la lumière, et l’autre la transmet.

De plus, comment se peut il faire que l’eau dont les parties sont si mobiles, conserve cependant toujours une égale rectitude dans l’arrangement de ses pores, et soit si transparente, tandis qu’une mousseline très fine, un papier très mince sont opaques, parce que leurs pores ne sont pas droits.

Il faut donc chercher quelque autre cause de la transparence que la porosité des corps, et l’arrangement de leurs pores, car cet arrangement seul ne suffit pas pour la transparence, puisqu’on parvient à les rendre transparents, d’opaques qu’ils étaient, en remplissant leurs pores, et vraisemblablement sans changer leur direction.

4

Les corps les plus homogènes sont les plus transparents

Tout le monde sait que lorsque la lumière passe obliquement d’un milieu transparent dans un autre, elle est détournée de son chemin, et d’autant plus détournée, que le milieu qu’elle traverse, diffère davantage en densité, de celui qu’elle abandonne.

Ainsi la lumière se rompt davantage en passant de l’air dans le verre, qu’en passant de l’air dans l’eau, parce que le verre diffère plus que l’eau de la densité de l’air.

Or puisque la lumière est perpétuellement detournée de son chemin, lorsqu’elle traverse des milieux qui différent en densité, le corps le plus homogène sera le plus transparent, car il transmettra d’autant plus de rayons en ligne droite qu’il sera plus homogène; mais quand les couches dont un corps quelconque est composé sont d’une densité différente, la lumière en les traversant étant perpétuellement detournée en des sens différents, son mouvement s’amortira, dans tous les détours qu’elle souffrira entre ces couches hétérogènes. Ainsi aucune partie de lumière [235r] ne pourra venir à travers ce corps en ligne droite jusqu’à nos yeux, et ce corps sera opaque. Ainsi afin qu’un corps soit transparent il faut que les lames de matière qui le composent soient, aussi bien que le milieu qui passe dans ses pores, d’une densité à peu près égale. Alors le rayon sera transmis à travers ce corps en ligne droite.

L’expérience du papier huilé dont j’ai parlé, prouve sensiblement que la densité de la matière qui passe dans les pores des corps, opère l’opacité, ou la transparence, selon que cette matière diffère plus ou moins de la densité même de ces corps, car l’huile approche plus que l’air de la densité du papier, et c’est par cette raison, que la lumière ne souffre plus dans l’intérieur de ce papier, les réfractions et les réflexions1  qu’elle y éprouvait, avant que l’huile en eût rempli les pores et qu’il devient perméable à la lumière.

Raisons de l’opacité du mercure malgré sa fluidité

Une des raisons qui empêche le mercure d’être transparent malgré sa fluidité, est vraisemblablement la densité de ses parties, lesquelles quoique très fines, étant très compactes sont d’une densité trop différente de celle de la matière qui passe dans leurs pores, pour que la lumière revienne en ligne droite à nos yeux d’entre ces parties.

5

Tous les corps diaphanes nous réfléchissent quelques rayons

Il n’y a de milieu parfaitement transparent que l’espace pur, parce qu’il n’y a que lui qui puisse nous transmettre les rayons qu’il reçoit, sans en réfléchir et en éteindre aucun dans sa substance, car tous les corps transparents éteignent, ou [235v] réfléchissent toujours quelque partie de la lumière qu’ils reçoivent.

La différent densité des milieux contigus, étant la cause de la réflexion, comme de la réfraction, et les corps transparents étant environnés d’air, une partie des rayons qui tombent sur ces corps, se réfléchissent d’auprès de leurs surfaces contiguës à l’air. Ainsi toute la lumière que les corps transparents nous envoient, revient à nos yeux d’auprès de leur surface, et il ne s’opère ni réflexion, ni réfraction sensible dans l’intérieur de ces corps, ce qui semble indiquer, que la matière qui traverse leurs pores, est plus dense que l’air au contraire de celle qui separe les parties des corps opaques (chapitre 4).

S’il s’opérait quelque réfraction ou quelque réflexion, dans l’intérieur des corps transparents, ces corps deviendraient troubles, et c’est ce qui arrive aux eaux qui cessent d’être limpides quand on les remue, car le mouvement y mêle toujours quelques corps étrangers qui interrompent la transmission des rayons. Ainsi quand l’eau tombe de haut, elle cesse d’être transparente, dans le bassin qui la reçoit, parce qu’il se mêle à cette eau, pendant qu’elle tombe, une grande quantité de bulles d’air, et que cet air étant d’une densité différente de l’eau, fait qu’une partie des rayons qui étaient transmis, sont réfléchis.

Ainsi lorsque le verre est parfaitement transparent, il faut que nous nous servions des nos mains, pour juger si le lieu qu’il remplit, est vide ou non, et nous ne le voyons qu’autant que les corps environnants, nous marquent ses limites, mais quand plusieurs morceaux de ce même verre sont appliqués les uns sur les autres, ils cessent d’être diaphanes, car le contact de ces verres ne pouvant [236r] jamais être parfait. L’air qui se glisse entre deux interrompt presque entièrement la transmission de la lumière.

6

Les corps agissent sur la lumière en éloignement

Les corps agissent sur la lumière, puisqu’ils la forcent à prendre un nouveau chemin dans la réfraction, et dans la réflexion et qu’ils lui font perdre son mouvement, en l’absorbant dans leur substance. Mais outre tous ces effets que les corps font sur la lumière qui les atteint, ils exercent encore une action sur elle, avant qu’elle soit parvenue a leur première surface.

On ne conçoit guère mieux, l’impulsion, que l’attraction

Tous les effets que les corps opèrent sur la lumière sont également incompréhensibles. On croit cependant mieux concevoir les effets qu’ils produisent sur la lumière qui les atteint, que ceux qu’ils font sur elle en éloignement. Tout ce qui porte un air d’impulsion, en paraît plus aisé à comprendre; cependant si on examine ses idées avec severité, on trouvera peut-être qu’on ne conçoit guère mieux, comment un corps peut communiquer son mouvement à un autre corps en le poussant, que comment un corps peut agir sur un autre corps, sans le toucher. Le principe de ces deux effets nous est caché. L’impulsion tombe plus sous nos sens mais notre esprit n’en a peut-être pas une idée plus claire.

[Figure 1.]
Figure 1.
Qu’on le conçoive ou non, il est certain que l’on est forcé de reconnaître que les corps agissent sur la lumière, avant qu’elle soit parvenue à leur première surface. Il est certain que le verre FF (figure 1) qui force le rayon CD à se détourner de son chemin, et à se fléchir vers la perpendiculaire ER, lorsqu’il le traverse, agit sur ce rayon, avant qu’il ait atteint sa première surface, et que la réfraction de ce rayon [236v] commence en B et dès qu’il entre dans la sphère d’activité de ce corps.

La réfraction commence avant que le rayon soit parvenue a la première surface du corps transparent

Cette puissance qui détourne le rayon CD de son chemin, et qui le force a se fléchir en approchant du verre FF, augmente à mesure que le rayon approche de ce corps, et se fait d’autant plus sentir, que le corps FF est plus dense, en sorte que la force réfringente des corps est à peu pres proportionelle à leur quantité de matière, si on en excepte les corps sulfureux.

Ce n’est pas seullement en réfractant les rayons, que les corps agissent en éloignement sur la lumière. Les corps transparents, et les corps opaques, forcent tous les rayons qui passent assez près de leurs bords pour se trouver dans la sphère de leur activité, à se courber, à s’infléchir vers eux, et ceux qui passent le plus près, sont ceux qui s’infléchissent le plus. On s’aperçoit de cet effet dans une chambre obscure, en mettant la lame d’un couteau ou quelque autre corps mince, vis-à-vis du trou, par lequel passe la lumière, et c’est ce qu’on appelle son « inflexion ».

Ces effets prouvent une attraction entre les corps et la lumière

Il est impossible, quand on considère avec attention tous ces effets, de ne pas reconnaître une attraction entre les corps, et la lumière.

Cette attraction paraît en plusieurs occasions, suivre d’autres loix que l’attraction que les corps exercent les uns sur les autres.

Quelles sont les loix de cette attraction?

  1. Les expériences du prisme nous font voir que les rayons résistent différement à l’action des corps sur eux, et c’est ce qu’on appelle la « réfrangibilité » de la lumière. Or il paraît bien difficile de décider par quelle loi les rayons violets sont toujours les plus détournés de leur chemin et les rayons rouges, ceux qui s’en détournent le moins. [237r] Car toutes les différentes espèces de rayons émanant en même temps du soleil, ils ne peuvent résister plus ou moins à l’action des corps sur eux, en raison de leur différente vitesse, et il serait bien hardi d’assurer qu’ils y resistent en raison de leur différente masse, puisqu’il est encore indécis si le feu pèse.
  2. Les corps sulfureux agissent sur la lumière dans une plus grande proportion que celle de la masse de les corps.
  3. Enfin l’attraction des corps les uns sur les autres est insensible, et absorbée par celle que la terre exerce sur eux à moins qu’ils ne soient au point de contact, mais l’attraction des corps sur la lumière est très sensible, même avant le contact. C’est ce qui se voit dans l’inflexion de la lumière et paraît donc que l’attraction des corps sur la lumière n’est point asservie entièrement aux loix qu’elle suit avec les corps que nous connaissons. Nous savons qu’alors elle se proportionne toujours aux masses, qu’elle décroît en raison du quarré de la distance &c. Mais est-il impossible qu’elle suive d’autres proportions dans de certaines circonstances ? C’est ce qu’on ne peut, je crois, décider sans témérité.

On ne connaît point ces loix avec certitude

La lumière paraît un être à part, qui n’est analogue à aucun de ceux que nous connaissons, et je ne verrais nulle contradiction à supposer qu’il y a pour elle, dans de certaines circonstances, d’autres loix d’attraction, que pour les corps. Il y a tant de loix du mouvement produit par l’impulsion, pourquoi ne pourrait-il pas y en avoir plusieurs du mouvement produit par l’attraction ? Je ne vois ni impossibilité, ni contradiction, à admettre sur cela, ce que les phénomènes nous découvriront.

L’attraction suit des proportions différentes dans le [237v] contact et dans l’éloignement, et il pourrait bien y avoir aussi, une loi d’attraction particulière entre la lumière et les corps. Suivons donc les phénomènes et voyons jusqu’à quel point les loix de l’attraction, que les corps exercent les uns sur les autres, sont applicables à la lumière.

7

Comment l’attraction opère la réfraction

Il est dêja certain que l’attraction des corps sur la lumière existe, et qu’elle est dans la plus part des corps proportionelle a leur masse.

Puisque ce principe agit sur la lumière, il doit influer dans tous les effets que les corps font sur elle, et je vais tâcher de montrer de quelle façon la réfraction de la lumière peut s’en déduire.

  1. C’est l’attraction des milieux que la lumière traverse, qui détourne les rayons de leur chemin, et qui les détourne d’autant plus, que les milieux sont d’une densité plus différente, c’est pourquoi la lumière se détourne toujours vers le milieu, dont l’attraction est supérieure. Ainsi les corps les plus homogènes sont les plus transparents, car le rayon attiré également de tous côtés, par les particules homogènes de ce corps, le traverse sans être détourné de son chemin et sans trouver sa transmission interrompue.

Preuves

[Figure 2]
Figure 2.
  1. Tout rayon de lumière qui traverse obliquement un corps transparent doit être considéré pendant qu’il le traverse comme étant mû par deux forces auxquelles il obéit en même temps. Ainsi le rayon CD (figure 2) en traversant le corps transparent AB obéit à la force qui le portait en E s’il n’eût point rencontré ce corps, et à la force que l’attraction de ce corps lui imprime, et cette force est désignée par la ligne LM. [238r] Car l’attraction agit toujours en ligne perpendiculaire. Ainsi ce rayon doit par les loix du mouvement décrire, en obéissant à ces deux forces, la diagonale LO du parallélogramme LMOE.

Si le milieu dans lequel le rayon passe est plus dense que celui dont il sort, cette diagonale sera comme dans la figure 2 plus près de la perpendiculaire que la ligne DE qu’il eût suivie, s’il n’eût point rencontré ce nouveau milieu, car alors l’attraction de ce milieu conspire avec le mouvement vertical de la lumière et l’augmente par conséquent.

[Figure 3]
Figure 3.
Mais si le milieu que la lumière pénètre est moins dense que celui qu’elle abandonne, la diagonale DO que le rayon décrit, sera comme dans la figure 3 plus éloignée de la perpendiculaire, que la ligne DE et cela parce que dans ce second cas, la vitesse verticale du rayon est diminuée par l’attraction du milieu qu’il abandonne, qui est plus forte que celle du milieu qu’elle pénètre, et alors cette attraction le retire en en haut selon la direction ML.

Ceci sera encore éclairé et confirmé par ce qui me reste à dire sur ce sujet.

8

Il paraît que c’est pour avoir ignoré l’attraction, ce principe actif de la nature, que Mr. Descartes et Mr. Fermat ont disputé si vivement et si inutilement sur la cause de la réfraction de la lumière.

Digression sur la dispute de Fermat et Descartes sur la réfraction

Cette dispute a partagé si longtemps le monde savant et Mr. de Mairan l’a rendue si célèbre (Académie des Sciences année 1723), même de nos jours, par l’attention qu’il a eut de la raporter que je crois devoir m’arrêter quelque temps a montrer de quelle façon il me semble que les principes de Mr. Newton auraient terminé cette dispute [238v] s’ils avaient été connus du temps de Descartes et de son adversaire.

On sait par la théorie des mouvemens composés que dans le triangle rectangle, dont l’hypoténuse représente l’incidence oblique d’un mobile sur un plan horisontal qui cède, la perpendiculaire à ce plan qui représente la vitesse verticale variable, et la ligne parallèle au plan, la vitesse horizontale constante, il arrive nécessairement que quand la vitesse verticale est retardée ou diminuée, l’angle de l’hypoténuse avec elle devient plus grand, ou, ce qui est la même chose, l’hypotènuse qui est le chemin du mobile, s’éloigne de la perpendiculaire au plan, laquelle, comme je viens de le dire, est la vitesse verticale, et qu’au contraire l’hypotènuse s’approche de cette perpendiculaire, et fait avec elle un angle plus petit, lorsque la vitesse verticale du mobile est augmentée, ou moins retardée car l’un produit le même effet que l’autre.

Or quand le mobile en passant d’un milieu dans un autre s’approche de la perpendiculaire, il faut par conséquent que sa vitesse verticale soit moins retardée dans ce second milieu que dans le premier. Or elle ne peut être moins retardée, que parce que le second milieu dans lequel le mobile pénètre, lui ouvre un passage plus facile, que celui qu’il abandonne. Donc, disait Mr. Descartes puisque la lumière s’approche de la perpendiculaire en passant de l’air dans le verre, il faut que le verre lui donne un passage plus facile que l’air.

Mr. Fermat disait au contraire qu’il était impossible que le verre qui est environ 2000 fois plus dense que l’air donnât cependant un passage plus libre à la lumière, et que tous les corps transparens lui ouvrassent un passage d’autant plus facile, qu’ils étaient plus denses, et effectivement cela [239r] devait paraître un peu étrange.

Cependant le raisonnement de Descartes étant fondé sur la géométrie, et sur les principes les plus sûrs de la méchanique ne pouvait être ébranlé par cette impossibilité apparente que son adversaire alléguait, car quand le géométrique est trouvé, c’est à la physique à l’expliquer, si elle peut, puisque les principes géométriques de la méchanique sont inébranlables. Aussi Fermat qui était trop bon géomètre pour nier aucun des principes de Mr. Descartes, se contenta de nier la conséquence, qu’il en tirait, et ne pouvant concilier ce que la physique et la méchanique paraissaient avoir de contraire dans cet effet, il eut recours aux causes finales, pour expliquer ce qui lui paraissait inexpliquable.

Il se retrancha donc à dire, qu’il est convenable à la sagesse de l’auteur de la nature, et à la simplicité qui règne dans ses opérations, que la lumière aille d’un point à un autre par le chemin qu’elle parcourt dans le moins de temps possible puisqu’elle n’y va ni par le plus court, ni par le chemin direct; de là il s’ensuivait par une démonstration tirée de la géométrie que, lorsque la lumière en passant obliquement d’un milieu dans un autre, va d’un point à un autre point en traversant des milieux contigus, dans le moins de temps qu’il est possible. Le sinus de son incidence et celui de sa réfraction sont entre eux comme les différentes facilités de ces deux milieux à se laisser pénétrer, or puisque le sinus de réfraction de la lumière, en passant de l’air dans le verre, est plus petit que celui de son incidence, le verre lui ouvre donc un passage moins facile, concluait Fermat.

On sent aisément combien Mr. Fermat défendait mal une bonne cause par ce raisonement, car un principe moral, une cause finale ne peut contrebalancer un principe géométrique tel que celui de la composition des mouvemens, et comme [239v] dit Mr. de Fontenelle, « quand nous aurons connu ce qui est ne craignons pas, de n’y pas trouver assez d’ordre mais ne jugeons pas de ce qui doit être, par un ordre et des desseins tirés de notre imagination ».

L’attraction pouvait seule terminer cette dispute

Il est aisé, ce me semble, après ce que j’ai dit ci-dessus, de s’apercevoir, comment l’attraction dénoue le nœud de cette difficulté.

La lumière accélère réellement son mouvement vertical en passant de l’air dans le verre, et il est sûr que sans cela elle ne pourrait s’approcher de la perpendiculaire, comme l’assurait Descartes, mais elle l’accélère, parce que le verre l’attire, et que cette attraction du verre, conspire avec son mouvement vertical, et non parce que le verre lui ouvre un passage plus facile. Ainsi le mouvement vertical de la lumière en passant de l’air dans le verre, ou dans un autre milieu plus dense que l’air n’est pas moins retardé comme le croyait Descartes, mais réellement augmenté par une force inconnue à Fermat et à Descartes, et qui ne dépend point de la contexture du verre.

C’est par cette augmentation de la vitesse verticale que l’angle de l’hypoténuse avec la perpendiculaire diminue ou ce qui est la même chose, que le rayon s’approche de la perpendiculaire en passant d’un milieu plus rare dans un plus dense. Ainsi par ce principe de l’attraction, le géométrique, et le physique, sont d’accord, et il n’y a plus aucune contradiction à concilier dans le chemin que la lumière suit en traversant les corps transparents.

Il arrive à une balle que l’on jette obliquement dans l’eau tout le contraire de ce qui arrive à la lumière. Cette balle s’éloigne d’abord de la perpendiculaire, mais elle s’en éloigne parce que [240r] l’eau résiste à la balle, à raison de sa surface, et parce que l’attraction de l’eau, très sensible sur un rayon de lumière est insensible sur une balle ordinaire.

Mais il faut continuer à suivre le chemin de la lumière dans les corps diaphanes, et à montrer comment l’attraction la conduit, pour ainsi dire, dans tout ce chemin.

9

Les diférents milieux contigus opèrent la réfraction

La combinaison de la force attractive des milieux que la lumière traverse, est donc la cause qui accélère, ou qui retarde son mouvement, dans les différents milieux. Cette cause agit d’autant moins sur le rayon que l’incidence de la lumière est plus oblique, mais aussi elle agit plus longtemps sur le rayon oblique, en raison de la plus grande longueur de la ligne qu’il décrit. Ainsi cela revient au même, et le sinus d’incidence, et le sinus de réfraction d’un rayon dans deux milieux contigus quelconques, sont toujours en raison inverse de la vitesse de la lumière, dans ces deux milieux. La démonstration en est trop connue, pour que je la répète ici, mais il me semble que l’attraction des corps sur la lumière est sensible dans cet effet constant et calculé.

10

Explication de la réfraction par l’attraction

Plus on suit le chemin de la lumière dans les corps transparents, et plus le pouvoir de l’attraction se déploye sensiblement.

L’aberration que le rayon éprouve en passant d’un corps transparent dans un autre, commence, comme je l’ai déjà dit, avant que ce rayon ait atteint la première surface de ce corps qui l’attire. Ce brisement augmente à mesure [240v] que le rayon approche de ce corps. Ainsi il décrit avant de l’avoir atteint une petite ligne courbe Bb car si FF représente la surface d’un verre contigu à l’air, et LL les limites de l’attraction de ce verre, le rayon CD sera d’autant plus attiré qu’il approchera plus de la surface FF car l’attraction augmente toujours quand la distance diminue (figure 1). Ainsi ce rayon sera inégalement attiré à tous les points de l’espace qui est entre LL et FF et il décrira par conséquent une petite courbe Bb en parcourant cet espace.

Lorsque ce rayon est arrivé en b, c’est à dire lorsqu’il a atteint la surface du verre, et qu’il commence à le pénétrer il est encore inégalement attiré pendant un certain espace. Ainsi si la ligne GH (figure 1) marque les limites de ce second espace, le rayon sera encore inégalement attiré, pendant qu’il le traversera et il le sera inégalement par deux raisons, la première parce que l’attraction de l’air qu’il abandonne, agit encore un peu sur lui, et contrebalance en partie celle du verre. La seconde parce que les parties du verre dans lequel il entre, agissent inégalement sur ce rayon, jusqu’à ce qu’il ait pénétré plus avant comme en d par exemple. Mais lorsqu’il est parvenu en d toutes les particules du verre agissant seules et également sur lui, et l’air cessant d’y agir, il continue son chemin en ligne droite à travers ce verre. Il est bien dificile de décider quelle est la cause qui marque le point auquel cette action des corps commence et finit, cela paraît dépendre des loix que suit l’attraction que les corps exercent sur la lumière et il ne paraît pas possible de déterminer entièrement les loix, d’ailleurs je ne prétends pas entrer ici dans cette recherche.

La droite que le rayon décrit en traversant le verre est une continuation de la courbure, que cette courbe insensible Bbd [décrit] au point d, et cette courbure est d’autant plus grande que le milieu dans lequel le rayon entre, différe plus [241r] en densité de celui dont il sort.2

Si la lumière au lieu de passer de l’air dans le verre, passait de l’eau dans le verre, la courbe Bbd aurait moins de courbure, car l’eau étant plus dense que l’air, contrebalance plus fortement l’attraction que le verre exerce sur la lumière. Ainsi la réfraction ne serait que de 9 à 8 de l’eau dans le verre au lieu qu’elle est de 3 à 2 de l’air dans le verre (figure 1).

Il me semble que cela fait voir merveilleusement l’influence de l’attraction dans la réfraction, car par quelle raison la réfraction que le verre opère, serait-elle plus ou moins forte, selon la densité du milieu que la lumière abandonne avant de le pénètrer, si ce n’était parce que l’attraction de ce milieu diminue l’attraction du verre sur la lumière en raison de celle qu’il exerce lui-même sur elle ?


Si la lumière au lieu de passer d’un milieu plus rare dans un plus dense, passe au contraire d’un milieu plus dense dans un plus rare, on sent aisément que la courbure de la ligne insensible dont je viens de parler, sera dans un sens contraire, et que son côté convexe sera vers la perpendiculaire, car alors l’attraction du corps plus dense retirera le rayon en en haut.

11

De la lumière qui repasse dans le verre à une certaine incidence

[241v] C’est encore la combinaison de la force attractive des milieux que la lumière traverse, qui décide à quelle obliquité d’incidence elle sera transmise ou réfléchie.

[Figure 4]
Figure 4.
Lorsque la lumière en tombant sur un morceau de verre, fait son angle d’incidence BDE de plus de 42 degrés, au lieu de pénétrer au sortir de ce verre dans l’air qui lui est contigu, elle repasse toute entière à travers ce verre, et fait en y repassant un angle sensiblement égal à celui de son incidence, sur cette même surface AB (figure 4).

Comment l’attraction produit ce phénomène

L’attraction, ce ressort universel de la nature, rend seule une raison palpable de ce phénomène.

La force attirante du verre s’oppose dans toutes les incidences, au mouvement vertical de la lumière, dès qu’elle est arrivée à sa dernière surface, et qu’elle l’abandonne pour passer dans l’air, car alors l’attraction de ce verre retire continuellement le rayon vers lui, et c’est pourquoi la lumière oblique s’éloigne toujours de la perpendicule en passant du verre dans l’air, car elle ne s’en éloigne, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois, que parce que son mouvement vertical est diminué. Or la lumière ayant d’autant moins de force verticale, que son incidence est plus oblique (puisque si elle était horizontale, elle n’en aurait point [242r] du tout) et les sinus d’incidence et de réfraction étant toujours entre eux en raison inverse de la vitesse du rayon dans les deux milieux, que la lumière traverse, si en passant du verre dans l’air, la vitesse verticale de la lumière est telle, que par les retardements que l’attraction du verre apporte à cette vitesse le sinus de réfraction dans l’air devienne le rayon du cercle dont il est sinus (et cela arrive lorsque l’incidence sur le verre passe 42 degrés). Alors le rayon ne pourra point pénétrer plus avant dans cet air contigu au verre, et lorsqu’il est arrivé en B il suivrait la ligne BB3 tangente du point B, si dans ce moment il cessait d’être attiré. Mais l’attraction du verre CD (figure 5) agissant continuellement sur ce rayon, le retire à tout moment de cette ligne BB en l’attirant de O vers Q, de I vers H &c. Ainsi le rayon en obéissant à ces efforts continuels de l’attraction du verre, repassera dans ce verre en décrivant une petite courbe NBK qui sera une espèce de parabole dont le sommet sera dans le point B (selon la démonstration de Galilée qu’on peut dans ce cas appliquer à la lumière) et ce rayon repassera dans le verre, par des degrés de vitesse qui seront en raison renversée de ceux qu’il avait depuis son émergence du verre en N jusqu’au point B car l’attraction de ce verre lui rendra de B en K tout ce qu’elle lui avait ôté de N en B et ce rayon fera en K sur la surface supérieure de ce verre un angle sensiblement égal à son angle d’incidence en N.

[Figure 5]
Figure 5.
Ce n’est que par les expériences les plus fines et les plus délicates que l’on peut parvenir à découvrir cette espèce de parabole presque insensible que le rayon décrit lorsqu’il passe du verre dans l’air avec l’obliquité d’incidence requise, mais il est sûr, qu’alors il décrit cette courbe, et que l’attraction [242v] en est la cause sensible, et l’on peut dire que dans ce cas, la cause est palpable, quoique l’effet soit presque insensible.

Cette réflexion de la lumière à une certaine obliquité d’incidence est tellement l’effet de l’attraction, que si au lieu d’air vous mettez de l’eau au-delà du verre CD (figure 5) l’incidence restant la même, le rayon AB pénétrera dans cette eau, au lieu de repasser dans le verre, et pour que le rayon repasse dans le verre lorsqu’il est contigu à l’eau il faut que l’angle d’incidence passe 42 degrés, il est aisé de voir pourquoi l’obliquité doit être plus grande pour opérer une réflexion totale en passant du verre dans l’eau, que pour l’opérer en passant du verre dans l’air, car l’eau étant plus dense que l’air, contrebalance plus fortement l’attraction du verre et force, par cette raison, la lumière à pénétrer dans sa substance, et à suivre la droite NG à la même obliquité à laquelle elle retournait vers le verre en B, en I, en E \&c. lorsque le verre était contigu à l’air.

Lorsque la lumière passe de l’eau dans l’air, il faut que son angle d’incidence passe 49 degrés, pour qu’elle se réfléchisse, car l’eau ayant moins de force attractive que le verre, il faut une moindre force verticale, pour que cette eau puisse forcer la lumière à repasser dans sa substance au lieu de pénétrer dans l’air.

Le diamant qui est le corps transparent le plus dense que nous connaissons, opère une réflexion totale, quand l’incidence de la lumière sur lui est seulement de 30 degrés et c’est sur ce principe que les joailliers taillent les diamants quoique vraisemblablement ils n’en connaissent pas la raison. [243r] Ainsi tous les milieux réfléchissent la lumière, ou la laissent passer à des obliqités d’incidence plus ou moins grandes selon leurs différentes densités (j’en excepte toujours les corps sulfureux).

Enfin plus la densité du milieu que la lumière pénètre approche de celle du milieu qu’elle abandonne, plus il faut une grande obliquité d’incidence, pour qu’elle se réfléchisse en sorte que lorsqu’elle passe d’un milieu plus rare dans un plus dense, elle est toute transmise, quelque oblique que soit son incidence à moins qu’elle ne fût entièrement horizontale, car l’attraction de ce corps plus dense force toujours la lumière à passer dans sa substance.

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Je n’ai jusqu’à présent considéré les corps transparents que dans les cas, où ces corps étant terminés par des surfaces parallèles, ils transmettent la lumière, sans nous découvrir en elle, aucune nouvelle propriété.

De la réfrangibilité de la lumière

Mais on sait que lorsque les surfaces d’un corps transparent sont inclinées l’une à l’autre, comme sont celles d’un prisme, alors la lumière qui le traverse, se teint des couleurs qu’elle renferme dans son sein. Et que le verre fait paraître, en faisant éprouver aux différents rayons, des réfractions différentes qui les séparent. Ces différentes réfractions sont insensibles, quand le rayon traverse un verre terminé par des surfaces paralleles, parce que le rayon s’éloignant sensiblement autant de la perpendiculaire, en passant du verre dans l’air, qu’il s’en était approché en passant de l’air dans le verre. La seconde de ces réfractions rapproche ce que la première avait séparé, mais quand les surfaces du verre sont inclinées l’une à l’autre, alors ces deux réfractions se faisant en même sens, cette séparation des différents rayons devient sensible, et le mystère des [243v] couleurs se dévoile.

Je n’entrerai pas ici dans le détail des expériences que Mr. Newton a fait à l’aide du prisme. On sait que ce sont ces expériences qui lui ont fait découvrir que ce qu’on croyait avant lui un seul rayon de lumière, est un faisceau des sept espèces de rayons différents dont j’ai parlé (chapitre 1, numéro 4), que ces rayons se brisent tous dans des proportions différentes, en traversant un corps transparent, et que ce sont ces brisements différents des différents rayons, que Mr. Newton appelle « la réfrangibilité de la lumière ». On sait depuis lui que cette réfrangibilité est la cause de toutes les couleurs de la nature. C’est cette propriété que Mr. Newton a aperçu dans les rayons, qui peut seule donner l’explication physique de l’arc-en-ciel, des couleurs du prisme, des changements qui arrivent dans les liqueurs colorées &c.

Des liqueurs colorées

Les liqueurs colorées doivent être plus hétérogènes et plus épaisses que les liqueurs entièrement transparentes, et plus homogènes et moins épaisses que celles qui sont entièrement opaques. Car elles ne sont colorées que parce qu’elles arrêtent certains rayons dans leur substance et elles ne sont transparentes, que parce qu’elles transmettent les autres.

Pourquoi leur couleur varie avec leur épaisseur

L’exemple des différentes couleurs dont le vin rouge se teint à ses différentes épaisseurs dans un verre de figure conique, fait voir la raison sensible des altérations de couleurs qui arrivent dans les liqueurs. Ce vin paraît dans le fond de ces sortes de verres d’un jaune pâle, quand on teint le verre entre la lumière et l’œil, et cela parcequ’ayant peu d’épaisseur dans cet endroit, il n’arrête que les rayons producteurs du violet et de l’indigo, car ces rayons sont dans toutes les circonstances ceux qui résistent le moins à l’action des corps et le mélange des autres rayons transmis doit produire le jaune déteint.

[244r] Un peu plus haut où le verre s’élargit, et où le vin est par conséquent plus épais, il paraît d’un jaune orange parce qu’à cette épaisseur, outre les rayons violets, il arrête aussi les bleus et les verds, et qu’alors le mêlange des rayons jaunes, rouges, et oranges qui sont seuls transmis, produit ce jaune orange dont il paraît. Enfin au haut du verre où le vin est le plus épais, les rayons rouges qui sont les moins réfrangibles, étant seuls transmis, le vin est entièrement rouge, et alors les rayons transmis sont les mêmes que les rayons réfléchis. Et le vin paraît également rouge, par une lumière réfléchie, et à une lumière transmise.

Si on augmentait l’épaisseur de la liqueur, elle ne transmettrait plus aucun rayon, et alors elle deviendrait entièrement opaque, car une même liqueur ne peut devenir plus épaisse, que parce que le vase qui la contient étant plus large, une plus grande quantité des particules de matière qui la composent sont contigues, ou parce qu’il est arrivé quelque altération dans ces corpuscules. Or l’une et l’autre de ces causes produit l’opacité.

C’est cette dernière cause qui fait que de deux liqueurs transparentes, il s’en forme quelquefois une liqueur colorée par le mêlange, et que deux liqueurs colorées deviennent transparentes, car les corpuscules de ces liqueurs agissant les uns sur les autres, elles arrêtent ou transmettent après leur mêlange d’autres rayons que ceux, qu’elles arrêtaient, ou transmettaient auparavant.

Des altérations que le mêlange produit dans les couleurs de certaines liqueurs

Lorsque ces corpuscules sont divisés, ces liqueurs [244v] laisseront passer les rayons qu’elles arrêtaient. Ainsi deux liqueurs colorées pourront produire une liqueur entièrement diaphane. Au contraire, lorsque ces particules s’uniront, le composé pourra être coloré, quoique les liqueurs composantes soient entièrement transparentes avant le mêlange, car ces liqueurs étant mêlées, arrêteront quelque espèce de rayons dans leur substance, au lieu que chacune à part, elles les transmettaient également, car c’est cette égale transmission de tous les rayons, qui rend les liqueurs entièrement diaphanes.

Par la même raison, deux liqueurs, dont l’une transmet seulement les rayons bleus, et l’autre les rayons rouges étant mêlées ensemble, deviendront entièrement opaques car après leur mêlange, elles ne pourront plus transmettre aucun rayon, l’une arrêtant ceux que l’autre transmet.

Pourquoi les eaux profondes sont vertes

L’eau de la mer laisse passer les rayons rouges à une plus grande profondeur que les autres. C’est de quoi le docteur Halley s’aperçut en plongeant, et c’est une des raisons pour lesquelles les eaux profondes paraissent vertes, car elles réfléchissent les rayons verts, et les bleus, à la même épaisseur, à laquelle elles laissent pénétrer les rouges.

Il y a aussi de certaines liqueurs, comme la teinture de bois néphrétique, qui laissent passer les rayons d’une couleur en grande abondance, et réfléchissent ceux d’une autre. Ces liquers paraissent de différentes [245r] couleurs à une lumière réfléchie, ou à une lumière transmise. Mais ces détails appartiennent à ce que je dois dire de la formation des couleurs, dans le quatrième chapitre de cet ouvrage.


  1. La densité différente des milieux contigus opère la réflexion comme la réfraction de la lumière, ainsi que je me propose de l’expliquer dans le troisième chapitre. [back]
  2. La courbe que le rayon décrit dans le commencement de sa réfraction étant presque insensible, on considère ordinairement la ligne de la réfraction comme une ligne droite qui fait un angle avec la ligne d’incidence, et qui concourt avec cette ligne au point même de l’incidence. [back]
  3. Le rayon au point B s’il cessait d’être attiré, serait à peu près dans le cas de la reflection moyenne. On sait que cette réflexion arrive lorsque le mobile ayant perdu toute sa vitesse verticale ne conserverait que l’horizontale. [back]